Production & Management : Doumé & Mika Riff
Régie Tour, Com & administratif : Céline Farges
La Brigade du Kif
LA BRIGADE DU KIF – EXTRAIT DU LIVRE « LA FRANCE EST ROCK 2 »
paru en 2018
Par Pascal Pacaly
« La mer, Qu’on voit danser le long des golfes clairs, A des reflets d’argent, La mer… ». Hop hop hop, deux secondes. Où on va là ? Ok Charles Trenet est né à Narbonne, ok la mer est belle et scintillante l’été, mais bon, quand même… Y’a pas un truc qui bouge un peu plus que Trenet dans le coin ? La Brigade du kif, tu connais ? Rien que le nom déjà… Allez, on y va. Tu verras, tu ne vas pas être déçu…
Narbonne, c’est un peu beaucoup leur fief depuis pas mal d’années, voire toute leur vie pour certains… Pour eux, Narbonne c’est « un gros village, ou beaucoup de choses sont agréables à vivre quand on a déjà bougé, mais bon très plan plan, axé sur le tourisme estival, la vigne, le travail saisonnier » nous dit Mika, chanteur et créateur du combo. Bon, et fort heureusement, il n’en reste pas moins une sacrée bonne scène alternative dans le coin, certes pas forcément des plus fournies, mais néanmoins des groupes qui ont marqué les esprits. C’est déjà ça. Du genre ? Du genre les Marto’s Pikeurs, les Croquants, les Barbeaux, les Sols Cirés, Goulamas’k, Bob’s not dead et quelques autres. Ces groupes étaient ou sont d’ailleurs encore aujourd’hui indépendants, avec cet esprit Do-it-yourself et qui se débrouillent pour s’en sortir, coûte que coûte, comme un combat quotidien pour la survie de nos rêves. Autre point non négligeable, la salle Db qui se monte toujours à Narbonne, avec à sa tête Doumé, ancien chanteur des Marto’s Pikeurs, manager des Croquants et bien connu dans tout le sud-ouest : un homme occupé en somme. C’est cette salle avec une programmation très alternative qui permettra dès le début de la Brigade de faire régulièrement leurs armes.
La musique, puisque c’est un peu de ce dont il s’agit dans ses lignes, Mika, est tombé dedans par ses origines maternelles espagnoles, flamenco qui danse à la maison. Quant à son vieux, pour avoir lu un article quelque peu « dramatique » sur les nouveaux groupes américains « satanistes et dépravés », qui jetaient des entrailles de cochon dans le public, il lui dira de débrancher avant même d’être branché… résultat ? Le môme de douze ans court acheter le vinyle aussitôt après. Sans parler qu’à cette époque, dans cette Bretagne où il crèche alors, c’était l’heure du gros boom de « Veuillez rendre l’âme » et « Du ciment sous les plaines » de Noir Désir. En pleine culture concert à Guingamp, Rennes et Saint-Brieuc, l’ado se gave et découvre plein de groupes le week-end. Plus tard viendra la Mano, le reggae, et le punk.
Mais revenons à nos Brigadiers du Kif, car, après tout, on est là pour eux, pas vrai ? Bon, comme pour quasiment la totalité des groupes, les mecs ont déjà écumé d’autres bandes avant de trouver la bonne…. Max le trompettiste, David le batteur et Mika avaient ainsi un premier groupe… qui tournera toutefois court : ambiance pesante, débats incessants, fin 2014, l’aventure s’arrête… « C’est à ce moment-là ou j’ai décidé de me lancer dans un nouveau projet. Plutôt que réfléchir dix ans pour savoir quoi faire – j’avais envie de rester sur la dynamique des concerts du groupe précédent- je me suis lancé, décidé de reprendre le micro et enregistrer des chansons mises de côté depuis un moment, des chansons que j’avais monté dans un autre groupe de potes « les tapas funkys », puis des nouvelles chansons ». Les connexions feront le reste. Gambeat, bassiste de Manu Chao Radio Bemba, vieille connaissance, va prodiguer les bons conseils : direction David Bourguignon, batteur du même Radio Bemba et l’envoi de quelques mails. Hum, pas gagné malgré tout. Le retour du batteur qui fait également de la prod’ est, disons, frais. Néanmoins, après plusieurs échanges, la décision est prise de faire un test sur un morceau. Test qui s’avérera concluant pour les deux. Ce qui nous amènera à un album et dix-sept chansons enregistrées en neuf mois pour finalement en garder quatorze. « On a pris un pied à l’enregistrer, chercher des arrangements, s’envoyer des guitares, des solos, chaque jour, rajouter des cuivres, des claviers, des percus en faisant venir des potes à David ou les miens. Je crois qu’on peut dire qu’on s’est régalé. Du coup au bout de trois mois d’enregistrement, quand j’ai vu la tournure que les morceaux prenaient, je me suis mis à monter un groupe pour pouvoir tourner à la sortie d’album prévue à l’automne 2015 et défendre cet album. » Arrivent ainsi les premiers potes Narbonnais, David et Max. Sans doute en réaction aux prises de tête du précédent groupe, le groupe va s’appeler « La Brigade du Kif », expression utilisée – et lue quelque part ailleurs par Mika sans arriver à se souvenir où- dans l’une des chansons de l’album, « que si que no ».
Bon, c’est bien beau d’enregistrer un album… mais pour payer sa tourner, faudrait voir à chopper encore quelques autres lascars musiciens, croyez pas ?
Ca commencera avec Thierry, guitariste des « Fringues en boules » depuis quelques années, et que Mika allait voir régulièrement sur des concerts… sans parler – mais cela va de soi, non ? – de quelques afters mémorables. A la basse, Julien du groupe toulousain Amoul Solo – et avec qui les futurs Brigadiers avaient pas mal joué depuis 2006. En septembre, c’est au tour de Patrick de s’y coller, au trombone. Son groupe de ska punk, Tusto Bueta, venait de faire son dernier concert la veille après un paquet d’années d’activité. Une fin en forme de recommencement…
Puis forcément, ça devait bien finir par arriver…qui dit tournée dit premier concert, hein. Celui-ci aura lien un bien triste 13 novembre 2015 au Db de Narbonne. Ils apprendront la funeste nouvelle en descendant de scène, bien évidemment les gens avaient commencé à en parler… En attendant, l’histoire de la Brigade du Kif était lancée et les mecs parés pour la sortie de l’album dans la foulée. Parés mais pas totalement prêts non plus, ce dépucelage s’avérant cool mais sans plus… comme tout dépucelage en fait. Il faut donc enchaîner le plus vite possible, sous n’importe quelle forme, acoustique, peu importe si pas trop payé, et un peu partout afin de trouver les premiers automatismes, le tout, en réussissant à jongler avec les emplois du temps de cheminots de David et Mika, mais aussi ceux de Julien et Thierry, intermittents dans d’autres groupes. Ça passe ou ça casse en gros. On s’en doute, ça passera.
Mais, évidemment, tu n’arrives pas dans la ronde en un claquement de doigts. Parfois, c’est enchaîner trois concerts en mars 2016 avec quasiment personne, avec des grands silences entre les morceaux dans des endroits que le groupe avait plus ou moins l’habitude de remplir avec leurs anciens groupes. Le tout seulement quatre mois après avoir rempli le Db. Hum, well well, les temps sont durs…Conclusion ? Trop de concerts à domicile : à un moment donné, le public t’a déjà un peu trop vu, l’ami. Pense à changer de coin. Leçon bien apprise puisque direction la Charente ou les Pyrénées. Ca ne rapporte pas forcément beaucoup de blé, voire pas du tout en fait, mais ne pas en perdre c’est déjà ça, et surtout chaque concert va en ramener un autre… Sans parler du temps passé ensemble, ce qui va souder le groupe… Arrive alors un premier tournant, la première partie de Massilia, devant 3000 personne au Festival de Carcassonne : un peu inespéré après seulement huit mois d’existence. Mais bon, on ne va pas faire la fine bouche, non ? Le concert cette fois-ci, sera terrible, donnant ce brin de confiance pour la suite, ce qui se concrétisera par trente-quatre concerts, ni plus ni moins…
2017 n’est donc que la suite logique, pleine d’envie d’en découdre avec un nouvel album –le futur « En bas de chez toi »- à créer. L’enregistrement se déroulera à Figuerosa, un petit village de 100 habitants en catalogne, dans le studio ou travaille Tomassin, ancien ingé de la Mano, membre des « Casse pieds » et de plusieurs groupes alternatifs parisiens de la fin 80, puis plus tard producteur de pas mal de combos espagnol de la scène barcelonaise. Mais les concerts, toujours les concerts qui s’accumulent avec trente-huit nouvelles dates les amenera forcément à acheter cette chose sans lequel les groupes ne seraient pas ce qu’ils sont : un camion. Ici un « Un bon vieux Renault master blanc neuf places super dur ».
Mais si ce n’était que ça… car évidemment les tournées, les concerts possèdent leur lot d’anecdotes… une au hasard ? Hop. L’histoire se passe début juin 2018, après une grosse répétition de 17h à 22 heures avant d’entamer une série de dix concerts. Comme il faut bien décompresser après ça, quelques bonnes bières ne seront pas de trop dans le pub de la ville. Puis resto grec, puis se pieuter. « C’est alors que je me réveille vers 8h du mat et là je découvre sur mon portable une photo de Thierry, qu’il m’a envoyé dans la nuit, menotté, sans aucune autre info. Très vite on a des nouvelles de sa copine, qui le cherche partout. Dans l’heure qui suit, On appelle le commissariat, qui au bout d’un moment, nous confirme du bout des lèvres, sa présence sans nous en dire plus ».
Sauf qu’il va rapidement y avoir un autre « petit » souci. Tu m’étonnes. Le groupe doit décoller à midi : festival à 250 bornes dans le Gard prévu depuis des mois. C’est donc peu dire que les mecs commencent à s’inquiéter. Heureusement, Mika a le bras long, et un pote des renseignements généraux lui expliquera qu’il s’est fait chopper juste après le grec, apparemment récalcitrant et tout le bordel. Bref, ils vont le garder jusqu’à 16 heures. Le groupe sera donc obligé de partir sans lui, de balancer sans lui, expliquant aux orgas que ben ouais, il y a un membre qui est en garde à vue. Hum, hum… Finalement, tout s’arrangera, et le gai musicien sera amené par un pote du groupe, suspendu de permis oblige. Il arrivera tard dans la soirée, mais à temps pour le concert. Inutile de rajouter qu’il sera chambré un sacré moment….
Comme on l’a vu, la vie en tournée, on n’a pas l’air de s’ennuyer, mais le public, quand il ne te connait pas encore, Mika, comment tu gères ? « Notre objectif, c’est d’aller toujours les chercher, les gagner, le plus tôt possible dans le concert et les garder. On vient un peu de l’école « y a pas de mauvais public, seulement des mauvais groupes ». Donc on essaye de ne pas se chercher d’excuse. On est assez critiques avec nous-mêmes après les concerts sans se flageller non plus. Des fois tu fais un concert pas terrible techniquement et le concert est super et des fois c’est l’inverse. Faire danser les gens, c’est un choix qui nous vient du bar, des fêtes de villages, on tout cas c’est dans notre adn jusqu’ à présent. Peut-être aussi parce que d’où on vient, c’est une obligation. Il faut qu’il se passe quelque chose sinon tu ne joueras pas ou très peu. Après au-delà de la musique, on essaye de provoquer des choses avec nos textes, nos refrains. On a pas mal de réactions pendant ou après les concerts. Sans tomber dans du revendicatif ou du moralisateur. Juste au détour d’une phrase, des petits messages, un peu d’insolence ».
Quid des paroles ? Là encore, c’est le chanteur qui s’y colle : « J’ai toujours eu du mal avec ce rock qui pour avoir ses lettres de noblesses, en France, doit forcément être intellectuel, revendicatif. Certains l’ont bien fait, d’autres beaucoup moins, d’autres en ont fait un fonds de commerce et quand on sait ce qu’il y a derrière ben il y a souvent beaucoup de pipeau, des fois ça vote même à droite ! Personnellement en tant que syndicaliste pendant des années, j’ai écrit beaucoup de tracts syndicaux, maintenant quand j’écris une chanson, je préfère raconter des histoires, des fois anodines, des fois moins, chacun peut y chercher une morale après. On ne le vit donc pas comme une bagarre, plutôt comme quelque chose de naturel, on vient comme on est, on n’essaye pas d’être quelqu’un d’autre ».
Et ça tombe bien, car c’est comme ça qu’on les aime ces mecs. Et leur exemple a valeur pour tellement d’autres également… Car il faut bien voir les conditions, mêler boulot et groupe, c’est l’assurance d’un sacré paquet de cernes sous les yeux, sans parler des tensions que ça peut générer avec l’entourage. C’est un chemin loin d’être tranquille, mais c’est aussi ce qui fait son charme, sans doute. Sortir de la routine, du quotidien, c’est un peu ça l’ambition. David et Mika, les deux cheminots, eux, se sont mis à temps partiel. Mais le train, c’est aussi un boulot qui a aussi ses avantages : « Travailler dans les gares, regarder les trains, reste pour moi une inspiration quotidienne. Tu peux tout y voir et chaque jour depuis 18 ans, j’y vois des choses que je n’avais jamais vues la veille, du meilleur au pire. C’est aussi dans les trains, tôt le matin vers 4 ou 5 heures que j’aime le plus écrire des textes, enregistrer des mélodies sur un dictaphone ». Peut-être un jour sera l’heure de faire un choix, de quitter la gare… mais ce n’est cependant pas encore à l’ordre du jour.
L’une des questions qui restera encore un peu en suspens concernera l’avenir du groupe : en effet, à moins d’un bon piston ou d’un paquet de fric à miser, durer peut s’avérer être la mission la plus compliquée à mener. Des groupes comme Dionysos ou Les Ogres de Barback, pour ne citer qu’eux, passèrent bien dix ans sur les routes avant d’exploser. Ce qui, entre les lignes, veut dire bien s’entendre entre membres… et bien sûr on n’oublie pas la fatigue, les ego, la boisson et les filles…
Apparemment, pour l’instant, le camion tient la route. Les vibrations continuent d’irradier de plus belle. Et il en faut des rêves, pour fumer cette réalité. Pour dissiper ce fichu brouillard, ces peurs, ces barrières que la société nous a pondues et qu’on tente de faire disparaitre à coup de rasades. Reste la musique, restent les groupes, et ces derniers dansent, chantent, essayent d’ingurgiter dans nos veines un semblant de foi. Bref, c’est le checkpoint de la vie. Vivement qu’ils foutent à nouveau le bordel sur scène.
Tu vas forcément kiffer. Ahah, ouais, facile.